À sa propre requête, le capitaine Marc Hardi fut pendu très court pour épargner de la corde, car le coût en était à l'époque facturé à la famille du condamné. Dans la vie comme à la mort, Hardi s'était soucié davantage d'économie que de panache. Tout petit déjà, sa maman l'avait nourri avec des seins en forme de compte-gouttes, aussi eut-il une enfance rapiate : il ne prêta jamais ses billes. À treize ans il fut renvoyé du collège, surpris en pleine nuit à enterrer son argent de poche dans une boite de pastilles, sous un marronnier de la cour. Alors, il s'enrôla comme mousse de troisième classe dans la marine de la reine, où il thésaurisa avidement les grades jusqu'à devenir ce capitaine fameux qui faisait des trous sur toutes les îles du sud, pour enfouir des trésors. Très attaché aux biens de sa personne, il était d'un naturel constipé, ne se coupait jamais les ongles, ni les cheveux qu'il roulait en pelote sous son célèbre chapeau à plumes de vautour. Il sentait du corps, car il lésinait sur l'eau douce, le savon, et la lingerie dont il changeait seulement le jour du bal annuel de l'amiral. Comme tous les grands capitaines, il avait un pilon de bois qu'il portait la jambe repliée, un jour la droite, un jour la gauche, afin de ménager ses bottes. De même, il mettait alternativement un bandeau noir sur chaque œil pour économiser sa vue. Il aurait certainement pu vivre centenaire s'il n'avait refusé, à l'occasion d'une funeste bataille navale, d'envoyer ses marins à l'abordage de crainte d'en perdre quelques uns. On connaît la suite.
Les sept péchés capitaux. N°80 de la revue Griffon -1987
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