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mercredi 28 juillet 2010

Les Poussegrain —7

Résumé: Deux chariots en panne sur la route des guerres Napoléoniennes… Deux filles remontent la pente avec la roue perdue par le premier véhicule. La plus âgée, est une aimable fille à soldats prénommée Blanche —la perle du putier de la Chevalière sa patronne. Justine, la seconde, à peine adolescente, cache dans son cœur un lourd secret : elle s'appelle en réalité Juste, car c'est pour complaire à sa mère qu'il porte jupons et cheveux longs… Bref, au point où nous en sommes, le cas de Justine défie le résumé. Le lecteur insatisfait est donc invité à se plonger dans les épisodes précédents…


L’adolescente contrôlait l’équilibre du cercle tout en le poussant, alors que Blanche, plus petite, faisait tourner les rayons de bas en haut. À plusieurs reprises, un coude de la jeune femme frotta par mégarde le bas-ventre de Justine, laquelle trouva la chose plaisante et fit mine de ne rien ressentir.
« T’es devenue grandette, la Justine, ces derniers mois ! Ça te fais combien, à c’tte heure ? questionna Blanche tout à coup.
― Hein ? Oh, dans les quinze ans, je crois bien.»
Là-dessus, la venue d’une autre fille à la rescousse tarit la curiosité naissante de Blanche et renfrogna Justine, mais la roue fut à pied d’œuvre en un rien de temps. On approfondit quelque peu l’ornière du chemin à l’aplomb de l’essieu et l’on enfila le moyeu de roue sur la fusée. Restait à résoudre l’épineux problème posé par la défaillance d’un gros écrou permettant d’assujétir le moyeu à son axe, et qui s’était brisé en deux peu avant la perte de la roue… La Chevalière se voyait déjà contrainte à rouler sur trois roues seulement, au risque de disloquer son précieux fourgon, quand Justine suggéra une réparation de fortune à partir d’une bague de métal renforçant un piquet de tente fendu, attaché avec d’autres au flanc du véhicule.
« On serre le boulon là-dedans, ça tiendra un bout de temps.
― Tu saurais le faire ? dit la maquerelle dubitative.
― Peut-être bien qu’oui…
― Alors, vas-y ! Où qu’on est rendus, on risque pas grand-chose.»
L’adolescente plongea donc l’extrémité du piquet et son renfort de métal dans un foyer improvisé au bord de la route, jusqu’à ce que la bague dilatée glissât de son support carbonisé. Elle la fit chauffer encore un peu, puis saisit la pièce portée au rouge à l’aide de pinces à feu et l’ajusta à coups de marteau autour de l’écrou reconstitué sur une pierre plate. L’assemblage refroidi, l’écrou étroitement cerclé reprit sa place à l’extrémité de l’essieu, et toutes les filles de s’extasier sur l’ingéniosité de l’adolescente… La Chevalière serra Justine dans ses bras pour biser ses deux joues de gratitude, la Poussegrain se rengorgea, mains aux hanches, mais c’est le regard admiratif de Blanche, étincelant et joyeux, qui remplit Justine de fierté.
Quand le putier reprit la route, la Chevalière tenant les rênes, les passagères restées à terre marchèrent à côté jusqu’au bas de la pente afin de surveiller la solidité de la réparation. Justine et Blanche cheminaient seules dans l’intervalle séparant le bordel ambulant du fourgon de la vivandière.
« Faudrait qu’on parle, nous deux… Tranquilles, tu vois ? dit Blanche brusquement.
― On parle de quoi ?
― Là, tout de suite ? De rien ! Avec ta mère aux fesses et les autres devant, on peut pas causer tranquilles… Ça serait mieux que tu viennes faire un tour par chez nous cette nuit. Qu’est-ce que t’en dis, la Justine, tu viendrais?
― Oui.»
Blanche lui fit un sourire si gentil que Justine aurait voulu que la nuit tombe à l’instant.

(premier épisode ici… la suite par là…)