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Un espace pour respirer et me souvenir de ce que j'aime… Un lieu aussi où nous serons deux à nous exprimer, Marcelle et Jean-Louis.
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samedi 25 septembre 2010

Les Poussegrain —9

Résumé présumé : Or donc, la Blanche vient de mettre le doigt sur le secret de Justine —ce qui est une façon de parler, puisqu'il qu'il était question d'une main entière dont l'histoire ne dit pas s'il s'agit de la gauche ou de la droite.

[ À propos de ce que l'on sait ou ne sait plus, il est par ailleurs curieux de noter que Juste Poussegrain en son grand âge semble avoir gommé Blanche de sa mémoire. On pourrait certes, expliquer cet oubli par la blessure d'amour-propre que dut lui causer l'obligation de s'habiller en fille et de se faire appeler Justine —le lecteur fidèle sait déjà que le travestissement imposé par sa digne mère le fit souffrir—, mais ce serait un peu simpliste. Juste Poussegrain a vécu trop longtemps et connu assez de tribulations pour n'attacher aucune importance à cette péripétie de l'adolescence.

À l'occasion de l'un de nos entretiens avec lui, nous nous sommes néanmoins étonnés qu'il ait pu oublier la Blanche. «Mais enfin, monsieur Poussegrain : Jamais de la vie, on ne l'oubliera, la première fill' qu'on a pris' dans ses bras… Rappelez-vous Brassens ! —Brassens ? Ça me dit rien non plus, je devrais connaître?» Et comme ma femme entonnait le début de la chanson, qui aurait dû précisément lui parler ( «J'ai tout oublié des campagnes d'Austerlitz et de Waterloo…»), il l'interrompit en agitant sa grande main marquetée d'années. «Vous fatiguez pas ! J'écoute pas la musique d'aujourd'hui…»

Juste se leva de son fauteuil et s'approcha à petits pas d'un guéridon encombré de tout un foutoir dont nous vous épargnerons la description. Il farfouilla dedans, déplaça des objets, et brandit un iPod, avec un sourire indéfinissable. «C'est un cadeau de ma petite-fille…» La phrase resta en suspens le temps d'une intense réflexion, puis il reprit : «Bon, je sais plus laquelle… Quand elle repassera, faut que je lui dise de me remettre l'électricité dedans, ça marche plus. Elle est gentille, cette petite : elle a recopié toutes mes musiques, parce que le gramophone est foutu…» Ce disant, il indiqua d'un mouvement de tête les éléments d'une chaîne hi-fi empilés sur une chaise paillée Directoire.

N'allez pas conclure de cette anecdote que Juste soit devenu gâteux en vieillissant, au point de ne plus se souvenir du nom de ses petits-enfants : c'est qu'il a vraiment beaucoup vieilli, et par conséquent accumulé un nombre de descendants qui défierait la mémoire de n'importe qui à sa place. Il délaissa l'iPod et fouilla le bazar sur le guéridon d'où il finit par exhumer une pochette de 45 tours qu'il nous tendit. «Et celle-là, vous la connaissez ?» Par dessus l'épaule de ma femme, j'aperçus un grognard de l'Empire en illustration, ainsi qu'un titre en vedette : «Le chant de l'oignon». «Non, je ne crois pas la connaître, répondit ma femme. —Ah, vous voyez ! Je suis comme tout le monde : j'aime surtout la musique de ma jeunesse. —Précisément, votre jeunesse ! C'est étonnant que vous ayez oublié Blanche, non ? —Il s'est passé tellement de choses, vous savez… La retraite de Russie, j'ai perdu ma mère, ce salopard de Miladiou a rappliqué, j'ai eu un commerce à Berlin… Pourquoi je me souviendrais de cette Blanche ? —Parce que c'était la première, dis-je avec un sourire. —Vouais, bon ! Insistez pas, ma femme écoute peut-être !» coupa-t-il avec une soudaine impatience, balayant l'air d'un geste qui englobait la pièce…

Nous aurons l'occasion de parler plus avant dans le récit d'Adèle de Sainte-Touche, la défunte épouse de M. Poussegrain ; remarquons toutefois qu'il semblait douteux qu'elle pût écouter notre conversation, car son magnifique portrait en pied est accroché au mur de l'escalier d'honneur, séparé de la chambre par une volée de marches et un couloir d'environ une vingtaine de mètres … Néanmoins, nous nous abstînmes d'insister quant à ses relations avec Blanche, clairement évoquées dans plusieurs des dizaines de cahiers relatant l'histoire de la famille, noircis par ses descendants.]

Ceci dit, où en sommes nous de la Blanche et de la Justine ? Voilà: sur une molle couche d'herbe et de feuilles mortes, la jeune femme vient de saisir Justine aux parties, à travers sa jupe —il faut entendre qu'il est question des parties de Juste, sans quoi Blanche n'eut rien trouvé à secouer aux parties intimes d'une Justine véritable…

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« C’est ben ça, mon pauvre bichou !» reprit-elle sur le même ton, sans que garçon sache bien s’il était question de son âge ou de la soudaine dilatation de sa bistouquette sous la pression de la menotte.

« À quoi qu’elle pense, ta mère, hein ! C’est pas des choses à faire, susurra-t-elle le palpant, y a de quoi tourner culophile. T’en fais pas, mon Justin, je vas t’arranger ça…»

Ensuite Blanche se tut, elle n’était pas causeuse au labeur, mais fit beaucoup pour soulager le tourment identitaire du jeune Poussegrain et l’illuminer quant au bon usage de la sexualité. Le poulain d’abord monté à cru, elle mena un trot pantelant aussi prolongé que ses forces le permirent. Les bras collés au corps, les poings crispés, Juste l’écoutait haleter et geindre, épaté que sa contribution pacifique put engendrer autant d’effets. Enfin hors d’haleine, la vaillante chavira sur l’herbe, le garçon toujours planté dans son entre-cuisses.

« T’es un coriace, toi ! Besogne un peu, mon bichou !»

(à suivre, peut-être ? Pour lire les épisodes précédents se reporter à l'onglet «Répertoire» )




samedi 18 septembre 2010

Les Poussegrain —8

Résumé: Le jeune Juste devenu Justine porte jupons et sert la soupe aux troupes napoléoniennes. Sa mère la Poussegrain mise à part, personne ne connaît le secret. Et voilà qu'un jour, roulant à deux et à bras une pesante roue de chariot, comme il peut arriver par les chemins de l'Histoire, le coude de la Blanche vint à lui frotter le bas-ventre… C'est à peu près à ce point que nous en sommes, Blanche la perle du putier de La Chevalière ayant donné un rendez-vous à Justine pour la nuit suivante. Le lecteur serait bien inspiré de se reporter aux premiers épisodes s'il veut comprendre quelque chose à l'étonnant et véridique destin de Juste Poussegrain, avec qui nous trinquâmes cet été encore, puisqu'il coule une interminable retraite en son hôtel de la rue du Seau de fer, dans le Marais…

Une fois les charriots parvenus sans autre encombre à leur nouveau campement, la journée achevée, les gamelles torchées, les feux réduits à braises, les chaudrons couverts ―deux chaudières qu’on ne récurait jamais, les restes du jour servant de fond à la pitance du lendemain : la soupe aux légumes secs et le ragoût, soit la même soupe agrémentée de morceaux de viande―, la cantine close enfin, la vivandière décrocha la lanterne de l’auvent et monta se coucher en maugréant.
« Journée de merde, amène-toi, Justine.
― J’ai pas sommeil, je reste un peu.
― Y aura pus de lumière, faudra voir à pas me marcher dessus, eh !
― Je ferai attention, mère. »
Le chariot bougea avec des grincements sourds tandis que la Poussegrain s’installait pour la nuit. Son ombre massive se dandina sur la bâche jusqu’à ce qu’elle éteignît la lanterne et se couchât avec un grognement soulagé. Juste attendit un moment encore, accoudé à la table. Enfin, un chapelet de pets carillonna dans la roulante le rituel de l’endormissement maternel et le garçon se mit debout, tranquillisé.

Il s’écarta du chariot à la lueur roussâtre des feux de bivouacs distants et, la démarche incertaine, se rapprocha timidement du putier de la Chevalière établi ce soir-là dans les parages d’une petite unité du train des équipages parmi laquelle se trouvait un charron. Juste avait aperçu celui-ci s’affairer en bras de chemise à remplacer son bricolage par une pièce neuve, puis vérifier et graisser chaque roue du fourgon. Autant qu’il avait pu en juger de loin, sa curiosité un tantinet jalouse gênée par le va-et-vient d’uniformes alentour du putier, la mère maquerelle et ses filles avaient prodigué leur reconnaissance au bonhomme une partie de la soirée. Il était resté dîner avec elles, dehors sous la toile de tente d’où fusaient rires et éclats de voix ; Juste ne l’avait pas vu repartir, peut-être se trouvait-il maintenant dans la voiture à se régaler d’une fille pour dessert, la Blanche, qui sait ?

C’était la première fois qu’il s’arrêtait à l’idée que Blanche prenait des coups et se faisait défoncer comme les autres, et même plus souvent que les autres. Ça lui fit un choc. Elle avait un petit coude si doux, comment ce charron pouvait-il la faire souffrir ! Pff ! Juste souffla son incompréhension par la bouche, et parcourut les derniers mètres le séparant du fourgon avec circonspection. Si ça lui plaisait à elle d’être battue, fort bien, mais il n’était plus aussi sûr d’avoir envie de la voir. Pourquoi faire d’ailleurs, puisque la roue était réparée et qu’ils n’auraient même pas le plaisir de la pousser encore un peu ensemble ? Quand la Blanche lui avait demandé de venir, il s’était senti tout drôle dedans, comme s’il avait reçu un petit coup de coude là, et il avait dit oui. Mais cet instant de grâce de la matinée était loin, il appréhendait brusquement le tête à tête avec elle…

Juste frissonna, trop tard pour s’en aller : assise toute seule sous la tente, la Blanche l’avait vu arriver. Elle se leva de son tabouret et approcha nonchalamment.
« Alors te voilà, la Justine ! Je me demandais si que tu viendrais, dit-elle à voix basse.
― J’avais dit qu’oui… »
Elle prit affectueusement sa main entre les siennes et tendit un instant l’oreille aux bruits de conversations paisibles qui filtraient du fourgon, puis l’entraîna du côté opposé à la ligne des feux de cantonnement, en direction d’un bosquet sans frondaison dont les branches noires griffaient le ciel étoilé. Ils marchèrent un moment au travers d’un labour, se tordant les pieds au creux des sillons, et dérangèrent un oiseau qui changea de gîte dans un claquement d’ailes apeuré.
« C’était quoi ? demanda Blanche, rompant le silence.
― Sais pas, une espèce de perdrix, peut-être bien…
― Fera pas d’vieux osses, la volaille, avec tous ces gaziers qu’ont l’estomac dans les talons et le fusil qui démange ! » dit Blanche avec un petit rire étouffé.

Parvenus au bosquet, la jeune femme qui tenait toujours Juste par la main, se laissa choir entre deux troncs sur un tapis d’herbe et de feuilles mortes de l’automne précédent. Cédant à son invite muette, le garçon s’assit près d’elle, à la fois craintif et sous le charme d’une atmosphère de complicité inconnue de lui. Sa surprise fut totale lorsque Blanche le renversa doucement sur le dos et murmura à son oreille : alors, comme ça, te voilà dans ton quinzième printemps, la Justine ? tout en l’empoignant entre les jambes à travers sa jupe. Vouiiiii, expira-t-il, ahuri qu’elle touchât à la vérité avec autant de désinvolture.

(à suivre, peut-être ?
Premier épisode par ici… La suite par là…)