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dimanche 29 juin 2008

L'île sur l'océan Nuit - avertissement

Parallèlement à «la Vie, Lili !», voici en ligne, publié chapitre par chapitre, un autre roman, de science-fiction celui-ci, destiné à l'origine aux adolescents.
Présentation :
Mar appartient au clan des Lepol, mineurs du Désert, ce monde désolé sous un ciel noir où l'homme ne peut s'aventurer sans scaphandre pour exploiter les filons de minerais. Parce qu'il souffre de l'allerge, la maladie des mineurs, Mar va être déclassé, séparé de son clan. Réfugié parmi les Sédentaires, au plus bas de l'étrange société qui peuple son île de l'espace, pour échapper au bannissement, il s'engagera dans une aventure périlleuse. Devra-t-il aller jusque sur la Terre demander à un improbable Empereur justice pour lui et pour le peuple des îles?
L'île sur l'océan Nuit a été publié pour la première fois en 1978 avec une couverture illustrée par J.C Mézières, aux éditions Robert Laffont, dans la collection l'Âge des étoiles, dirigée par Gérard Klein et Karin Brown.

(édition épuisée, la collection a disparu)

L'île sur l'océan Nuit —chapitre 1

Dans la hutte des Lepol ordinairement bruyante, régnait un silence accablé. Par moments, un souffle rauque s’élevait, hoquetait, sifflait, et tout le clan tressaillait, à l’écoute de cette respiration capricieuse qui menaçait de s’arrêter à tout instant. Mar, le quatrième enfant du clan, terrassé par l’allerge, le mal des mineurs, étouffait depuis une dizaine d’heures.
Grand-Ja, le père, arpentait la hutte. Dos courbé, la tête rentrée dans les épaules, ce qui lui évitait de se heurter au toit, il marchait, le front barré par la ligne épaisse de ses sourcils froncés. Lou, la mère, paupières lourdes sur ses yeux inquiets, suivait du regard les déambulations de Grand-Ja. Il lui semblait encore plus grand qu’à l’accoutumée. Elle était assise au chevet de Mar et, impuissante, ne pouvait qu’étancher la sueur ruisselant sur son visage. Enfin, l’adolescent soupira profondément et se détendit, brusquement calmé.
Le chef de clan s’approcha de la couchette sur laquelle Mar reposait. Lou scruta les traits de Grand-Ja puis se décida. D’une voix rude elle dit :
— Sans soignant, on ne peut pas savoir. La crise est passée, mais elle peut revenir, plus grave. Il faudrait un soignant.
— Moi je dis non ! jeta Grand-Ja, et la barre de ses sourcils un instant brisée en deux se reforma, têtue. Non ! Le mal des mineurs après quelques heures s’arrête de lui-même, il suffit d’attendre. Grand-Ja s’accroupit auprès de Mar et poursuivit :
— Hein, fils ! Tu es solide et tu n’as pas besoin de soignant, dis-le à cette hersche !
C’était ainsi qu’on appelait les femmes dans les clans : hersches. Mar esquissa un pauvre sourire, tandis que son père lui tapait sur la cuisse avec une vigueur contenue. Mar, sa tête ronde penchée sur l’épaule comme un fruit trop lourd, ses larges yeux d’or ternis, faisait cependant peine à voir, et Lou mécontente grommela :
— On meurt aussi du mal parfois ! et elle quêta un soutien du côté de ses enfants.
Mais Sar cachait sa jolie petite figure un peu butée sous une longue chevelure sombre qu’elle peignait, tête baissée. Rien à faire de ce côté ; celle-là depuis qu’elle était grande prenait toujours le parti du père.
Her, l’aîné, et sa femme Su jouaient avec le bébé allongé en travers de leurs genoux. Her, le sanguin à la colère facile, qui aurait pu donner de sa grosse voix, rouler des yeux furibonds, se taisait. Seules, sa face empourprée, sa moustache tremblante indiquaient qu’il n’avait rien perdu de la conversation. Su, pâle, s’appuyait contre lui en serrant les dents, ce qui faisait saillir sa mâchoire.
Gil pour sa part détourna les yeux en se mordant les lèvres ; lui aurait aimé dire son mot, mais il était évident que Grand-Ja n’eût pas toléré qu’un garçon de dix-huit ans osât le contredire. Restait Louni trop jeune pour avoir le droit à la parole, et Bru le bambin de cinq ans. Lou soupira, mais n’insista pas davantage au sujet du soignant.

* * * * *

Lumière, des flots de lumière frappant les machines dispersées sur le gîte, aveuglante, dure. Gil quitta l’abri des synthétiseurs et installa le dernier réservoir sur la chenillette. Il se mit aux commandes et engagea le véhicule sur la rampe qui menait en pente douce au cœur de la minière, dont le cirque en entonnoir, régulièrement haché de gradins énormes, ouvrait un grouffre profond, de près d’un kilomètre de rayon.
Les cinq clans de la Main œuvraient ensemble à la cote la plus basse. On s’apprêtait à disloquer le fond pour terminer la campagne en beauté. Déjà, ils remontaient la grande pelleteuse, Lino comme on l’avait baptisée, vers les gradins supérieurs. À mi-pente, Gil croisa Pauni, le benjamin du clan Tilu, remontant pour la corvée d’oxygène. Pauni lâcha brièvement les commandes de sa chenillette pour se battre les flancs : Je suis crevé ! Gil en réponse se frappa la cuisse gauche : À d’autres ! et poursuivit son chemin.
Depuis que Mar était malade, les besognes ingrates qu’ils se partageaient d’habitude, revenaient entièrement à Gil ; ravitaillement d’oxygène, déblayage, occupaient tout son temps. Du travail de gali, de gamin qui ne sait rien faire d’autre ! pensait Gil furieux. À dix-huit ans, il n’était plus un gali, sa place était à la taille, à servir le père comme un rach, plutôt que sur la rampe à trimballer des réservoirs. Gil, non sans rancune, évoqua l’image de son frère douillettement installé au camp et dorloté par les fillettes. Quand il sera guéri, j’espère qu’il traînera les réservoirs d’oxy aussi longtemps que moi !
Sur l’aire de manœuvre, le dernier palier avant la taille, pointe extrème de l’exploitation, Lou attendait debout au pied de son transport, bras croisés, mains aux épaules, dans l’attitude qui lui était familière. En le voyant arriver, elle esquissa le geste de serrer une ceinture sur son scaphandre, et ajouta le signe d’injonction, le pied droit frappant doucement le sol, ce qui la fit rebondir légèrement sur place : Je suis sur la réserve, dépêche-toi ! Gil descendit de son véhicule et se hâta de rejoindre sa mère avec un réservoir plein. Il l’aida pendant l’échange, puis lui demanda comment allait Mar, quatre doigts tendus pour désigner le quatrième enfant du clan, la tête inclinée sur l’épaule manquant l’interrogation. Toujours pareil… Lou était très inquiète, elle porta une main au côté de son casque.
Gil s’écarta tandis qu’elle s’installait aux commandes du tracteur. L’instant d’après, le transport se lançait pesamment à l’assaut de la rampe, sa benne chargée d’une montagne de minerai. À peine visibles sous la poussière grise, les armes du clan, le pic noir et la feuille de frêne verte ornant les flancs du tracteur et de la benne, défilèrent avec lenteur devant Gil avant qu’il se remît en route.
Sur la taille, Sar aidait au chargement d’un transport du clan des Tilu. Le travail était ralenti parce qu’ils ne disposaient plus que de pelleteuses légères. Gil la ravitailla et s’enfonça dans les galeries où avaient lieu les travaux de sape. Il trouva Her et Grand-Ja au cœur d’un réseau en toile d’araignée. Le passage était juste assez large pour permettre l’avance de la haveuse, et par moments, malgré les projecteurs, la poussière l’obscurcissait totalement. Grand-Ja dirigeait la machine, les épaules voûtées comme toujours, tandis que Her lui servait de raucheur et pulvérisait de temps à autre une couche de plasta en arceau sur les parois pour étançonner la galerie. En l’absence de Gil, trois bennes pleines de débris de roche s’étaient accumulées. Gil donna un réservoir à son frère, puis essaya d’attirer l’attention du père, posté à l’avant sur l’étroite passerelle de sa machine, à l’abri du bouclier. Ayant jeté en vain quelques petits cailloux dans sa direction, Gil se décida à brancher la radio pour l’appeler :
— Pori ! L’oxy…
Grand-Ja sursauta, ce qui eut pour effet de déployer sa haute taille un instant très bref, puis le dos retrouva sa courbure naturelle. Grand-Ja débraya la machine et vint à Gil. Il changea sa réserve d’air en silence et ne consentit à parler que lorqu’il eut terminé.
— Il y a de l’abattage ici, dégage-moi cette caillasse.
Gil écœuré regarda le travail à accomplir. Ça de l’abattage ? de l’abattage de gali, oui ! pensa-t-il une fois de plus, rageur. Cependant, il s’inclina en signe d’assentiment et attela les bennes à sa chenillette.

* * * * *

Douze heures de repos, six heures de travail, tel était le rythme adopté par les mineurs en campagne dans le désert. Le douzain pour manger, dormir, se détendre, le sizain pour l’abattage, sans trève.
On était au milieu du sizain, et le temps pour Louni s’écoulait avec une lenteur désespérante. Une fois de plus, la fillette sortit. Elle dépassa la hutte de l’oncle Dal, et anxieusement son regard parcourut l’étendue du plateau. Rien. La plaine vide ; la plaine désolée de poussière grise, tavelée de bis, où le moindre roc projetait une ombre profonde, étrangement nette, la plaine grêlée de cernes noirs par les cratèrelets épars, noire, bise, grise, sous le ciel noir. Funèbre. Le petit nuage de poussière soulevé par le transport de sa belle-sœur Su, que l’on apercevait encore vingt minutes auparavant, avait disparu. Rien. À droite du camp d’œuvre une cinquantaine de bennes pleines étaient parquées ; à gauche, il restait encore quelques bennes vides. Aucun adulte de ce côté-là non plus. Ils étaient tous à la minière. Louni revint lentement vers sa hutte, de plus en plus angoissée. Combien de temps encore devrait-elle assumer cette terrible responsabilité ?
Elle pénétra dans le sas et se débarrassa du scaphandre tandis que l’air affluait. Sa cousine Rani, qui était venue l’aider, se tenait au chevet de Mar, affolée, impuissante devant la crise d’étouffement du malade. Le petit Bru, comprenant que ce n’était pas le moment d’ennuyer sa sœur, se tenait tranquille, jouant sur le sol avec de gros écrous qu’il empilait les uns sur les autres ; quant au bébé, il dormait dans le berceau suspendu au plafond.
— Person’, dit Louni, de sa petite voix nasale qui estropiait la plupart des mots.
Les deux fillettes se regardèrent au bord des larmes. Elles avaient tenté une fois déjà d’appeler la minière par radio, vainement. À moins d’un hasard extraordinaire, personne ne restait à l’écoute pendant le travail, et les radios individuelles n’étaient pas équipées pour recevoir les communications du camp. Mar appela faiblement :
— Louni…
C’était à peine plus qu’un murmure, mais Louni l’entendit et se précipita. D’ordinaire, Mar occupait la plus haute des couchettes superposées, mais on l’avait installé sur le cadre de Bru, en bas, pour le veiller plus aisément. Deux gros coussins lui soutenaient le buste, il ruisselait de sueur, les narines pincées, la tête rejetée en arrière. Il avait une respiration brève, bruyante, entrecoupée de quinte de toux. Louni se pencha vers lui.
— Je suis là, Môr.
— Il faut appeler quelqu’un, Louni…
— Il n’y a person’, ils sont tous partis.
Mar prit la main de sa sœur et la serra très fort.
— Un soignant alors.
— Je ne sais pô si je peux ?
Il ne se sentait plus la force de parler. Il lâcha la main et se borna à frapper du pied sur la couche, le signe d’injonction : Je veux !
Cette nouvelle crise, plus violente que la précédente, avait débuté peu après le départ de Su, venue prendre des nouvelles entre deux roulages de minerai. Dans le camp d’œuvre, il ne restait que six gamzelles, des fillettes de moins de quatorze ans donc, et quelques bambins sachant à peine marcher. Aide ou conseil ne pouvaient venir que de l’extérieur.
— Calme-toi, Môr, je vais appeler, promit Louni.
Elle avait très peur de mécontenter Grand-Ja. Bien qu’elle n’en comprît pas clairement la raison, elle savait que son père répugnait à demander de l’assistance. Cela coûtait cher, bien sûr, tout coûtait cher, mais il y avait autre chose, Grand-Ja n’était pas homme à laisser souffrir son fils par économie. Cependant, Mar allait très mal, et demandait un soignant de lui-même. Mar était son aîné, Louni se sentait trop soulagée qu’il eût pris cette décision pour la discuter. Il voulait un soignant, il l’aurait.
Elle contourna le centre de la hutte encombré de coussins, de coffres de cuivre étincelant, et gagna le coin des parents, qu’une vaste tenture de feutre rouge isolait du regard. L’émetteur était là, à hauteur d’homme sur la paroi près des lits. Elle dut grimper sur la couchette supérieure pour pouvoir l’atteindre. Rani accourut très excitée.
— Alors c’est vrai, tu appelles Neuvrope ?
— Oui.
Un peu pâle, Louni s’allongea à demi pour être plus à l’aise, et brancha l’appareil.

(à suivre)

jeudi 12 juin 2008

La vie, Lili ! (chapitre 5)

5 —Madi

« L'école est fermée, mademoiselle.
— Je suis la nouvelle institutrice, j'ai rendez-vous avec monsieur Bouquet.
— Dans ce cas… »
Le concierge la guida vers les appartements privés du directeur de l'école. M. Bouquet accueillit Madi avec un certain embarras, dans un recoin du vestibule encombré de chaises et de potiches remplies de vieux parapluies, depuis le tom-pouce de dame jusqu'au pépin de majordome. Au delà, on apercevait la salle de séjour où Mme Bouquet repassait, tandis que deux enfants béaient devant le téléviseur allumé. On y voyait aussi des armoires sans portes alignées côte à côte le long des murs.
Madi informa le directeur que le rectorat venait de la nommer institutrice pour remplacer Mlle Baral.
« Alors vous êtes Madi Lacroux, je vous attendais. Où pourrais-je vous recevoir, voyons ? »
Le directeur jeta par dessus son épaule un regard perplexe.
« L'appartement est exigu… la bibliothèque peut-être, à moins que nous ne descendions à mon bureau ? »
Madi trouva que ce serait plus agréable dans la bibliothèque, elle ne voulait pas déranger cependant.
« Du tout! Venez. »
Dans le séjour, les armoires sans portes, ainsi que d'autres vieux meubles invisibles depuis le vestibule, comme un cloutier, un buffet vitré et trois ou quatre guéridons, croulaient sous un bric-à-brac époustouflant. Madi qui n'osait pas le détailler, aperçut du coin de l'oeil des piles de boîtes en fer illustrées, des outils anciens et des quantités d'animaux en porcelaine…
Le directeur présenta son épouse et ses enfants.
« Je vous surprends en plein déménagement », s'excusa Madi auprès de Mme Bouquet, qui sourit d'un air absent et baissa le nez sur son repassage.
Le directeur rougit et entraîna la jeune fille. Ils traversèrent une chambre à coucher plongée dans la pénombre, où ils durent se faufiler entre le mobilier et des échafaudages de valises posées sur le plancher. Enfin, M. Bouquet la fit entrer dans une petite pièce sans fenêtre, tapissée de livres du sol jusqu'au plafond. Il y avait là une échelle de bambou, une table basse et deux fauteuils de rotin.
« Voici mon refuge, prenez place. »
Dès que Madi fut installée, il reprit avec un rire gamin :
« J'hésite toujours à recevoir des collègues chez moi, à cause du désordre. Ma femme déplore mon goût de la récupération, mais que voulez-vous, je suis incapable de résister à la vue d'une vieillerie amusante.
— Moi aussi, j'adore fouiller aux puces, bien que j'achète rarement.
— Oh! je ne songeais pas au marché aux puces, les prix y sont exorbitants. Non, ma passion, voyez-vous, ce sont les bennes. »
M. Bouquet expliqua qu'il était un adepte de la récupération dans ces grandes bennes vertes disséminées à travers la capitale, afin de permettre aux Parisiens de se débarrasser des objets encombrants. Lyrique, le directeur déclara que les bennes sont notre ultime jungle, la dernière savane, la dernière banquise où le citoyen ordinaire peut s'offrir à bon compte des frissons d'explorateur.
« C'est inimaginable les trésors que les gens abandonnent là-dedans! Quelquefois, sans qu'il soit nécessaire de farfouiller, vous trouvez au sommet d'un tas de débris un meuble ancien intact, un sac de livres, un lot de boîtes vides… »
M. Bouquet se piquait de connaître toutes les bennes de Paris. Le directeur de l'école courait la benne par les nuits bien sèches —la pluie gâte le plaisir. Autour d'un tas de rebuts, il lui arrivait de nouer des relations,
« On rencontre souvent les mêmes têtes, on bavarde entre habitués. J'ai fait la connaissance d'un sculpteur et d'un agent de ville, bien que la fouille des bennes soit à présent interdite, d'une pharmacienne, d'un journaliste, et le croiriez-vous ? d'un inspecteur de l'éducation nationale. »
Avec la pharmacienne, un soir, il avait partagé un lot de cinq armoires à glace, provenant certainement d'un hôtel en démolition.
« Mon gros souci, mis à part le transport, c'est le manque de place. La cave est pleine de meubles démontés, et mon épouse proteste lorsque je ramène ici quelque trouvaille nouvelle. Heureusement que je loue une maison de campagne au nord de Paris… Mais je vous assomme avec ma petite marotte, parlons plutôt de vous. »
Madi assura que M. Bouquet l'intéressait au contraire beaucoup. D'une certaine façon, ses histoires lui rappelaient son enfance… Et voilà! Madi sentit qu'elle allait encore raconter des mensonges. C'était plus fort qu'elle, jamais elle ne pouvait résister au plaisir d'éblouir un auditeur complaisant.
« Mon grand-père chinait pour le compte d'un antiquaire lyonnais, et quelquefois il m'emmenait en tournée. Il était spécialisé dans le mobilier rustique d'une haute vallée des Alpes italiennes. Grand-père laissait son camion chez des paysans, au bout de la dernière route carrossable, on continuait en voiture à cheval. Vous imaginez la joie, pour une fillette de douze ou treize ans ! Il visitait les hameaux, les fermes écartées. Les gens du pays le connaissaient, ils le laissaient fouiner partout, mais au moment de conclure l'affaire, la discussion n'en finissait plus. Moi, je m'endormais sur un banc au coin de la cheminée. A la fin, nous redescendions avec des trésors, grand-père chantait. Que d'aventures nous avons vécues ! Attaques de brigands, poursuites de douaniers, et même un ours qui s'est jeté sur le cheval.
— Un ours dans les Alpes ? tiens, tiens!
— Grand-père l'a tué d'un coup de fusil en pleine tête.
— J'aurais aimé avoir un grand-père tel que le vôtre. »
Madi sourit et se balança d'avant en arrière d'un air modeste, faisant craquer le fauteuil de rotin. Elle se dit, nostalgique, qu'elle aussi aurait adoré ça. Quel dommage que son grand-père fut mort avant sa naissance !
Monsieur Bouquet rêva un moment. Il tiraillait les touffes de poils de ses oreilles, les commissures de ses lèvres frémissaient, comme si un sourire menaçait de les tirer vers le haut. Il trouvait Madi piquante, jolie, et si jeune de croire qu'il pouvait avaler ses bobards !
« C'est votre premier poste d'enseignante, mademoiselle Lacroux ?
— Oui.
— Vous aurez ici une classe délicate, des enfants turbulents et un peu trop imaginatifs… La collègue que vous remplacez a déclaré forfait, mais avec vous, je sens que tout ira bien désormais. Ils vont trouver à qui parler…
— Vous croyez?
— J'en suis certain. Vous êtes précisément la personne qu'il nous fallait. Que diriez-vous d'un petit Martini pour fêter votre arrivée ? »