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Un espace pour respirer et me souvenir de ce que j'aime… Un lieu aussi où nous serons deux à nous exprimer, Marcelle et Jean-Louis.
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mardi 25 janvier 2011

Les conteurs sont parfois des enfants



La rose poignante de l'hiver s'était à peine ouverte que déjà le vent s'acharnait à la détacher de sa tige. Longtemps ils se souviendraient des paroles infructueuses, des larmes vaines, des prunelles cendreuses, de la brume des vins, des faces ensanglantées de lendemains de fête : l'année finissait dans un pourrissement de feuilles mortes, d'écureuils épinglés aux basses branches, frères en douleur de l'attente obstinée et comme les illusions, crucifiés. L'hiver au cœur frileux les avait tous saisis. La rose soyeuse opposait sa rondeur au couperet du vent, ses pétales s'entrouvraient comme des ailes.

La rose — ai-je dit qu'elle était rouge, rouge cruauté, rouge injustice, rouge passion surtout —, la rose luttait contre le vent, sa belle tête penchée exhalait un soupir parfumé pour chaque rafale, soupir sitôt dispersé. Ils enfantaient des fontaines d'eau saumâtre, l'orgueil blessé portait des ailes métalliques et bruissait dans leurs oreilles. Les poètes étaient morts, les pianos orphelins, la lumière avare. L'amour se voilait du loup grenat de la colère, le monde était indifférent, lentes, les heures passaient mais les jours étaient brefs. La nuit les meurtrissait encore plus sûrement, l'existence s'écoulait aussi vite qu'un ruisseau en folie, les lèvres givrées saignaient pour un sourire. Alors ils mirent les oripeaux noirs et verts de l'insurrection, se grimèrent de fureur, oignirent leurs muscles gourds. Ils exigèrent la fin du temps qui passe, ils exigèrent de grandes jambes, des esprits inventifs, des âmes sans rides, des cœurs toujours tendres, des amours toujours patientes, une énergie infatigable, ils exigèrent le triomphe de la rose sur le vent de l'hiver. Ils attendaient le printemps.

Marcelle, qui est l'auteur de ce texte, aimait passionnément la musique qu'elle pratiquait depuis de longues années. Dans l'enregistrement joint au texte, elle interprète l'étude opus 25 en fa mineur de Chopin, malheureusement enregistrée par mes soins à l'aide d'un simple appareil photo numérique.

4 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

Un texte d'autant plus émouvant que j'imagine Marcelle l'écrire. Bizarrement, je ne l'imagine pas le taper sur un ordinateur ou un clavier, mais à la main, près de son piano, dorénavant orphelin.

dedalus a dit…

C'est au cœur de l'hiver qu'on comprend comme le printemps est une merveilleuse saison. Il viendra.

Epamine a dit…

Comme il est doux et bon d'utiliser les moyens techniques modernes pour garder des images, des sons, des voix de ceux que nous aimons et qui nous ont quittés...
Je pense bien à toi mais n'ai guère le temps de papoter (école oblige...).
Bises d'Ep'

Elo a dit…

TRès beau texte ... Pas étonnant qu'elle aime la musique, il y a une certaine musicalité dans les mots aussi ! Bises